HATHA-YOGA et FORCE D'AIMER, quel rapport ?

Oui, quel rapport ? La force d'aimer a été le thème d'un stage de yoga de l'énergie que j'ai effectué au printemps de cette année, et j'ai envie de partager avec vous cette expérience.

Ce stage était le troisième d'une série commencée en 1996 à cette même période de chaque année, le printemps, saison du renouveau dans le sens où la nature commence à montrer ses parures de l'année.

Je prendrai comme point de départ la phrase de R. Tagore qui affirme que « le manque d'amour est une sorte de racornissement car l'amour est l'accomplissement de la conscience ».

Pendant six jours, nous avons donc pris le chemin d'ouverture de cette force à travers les sentiers du corps, de la conscience, du cœur, de la confiance et de la convivialité.

Abbé Antoine, père du désert, rappelle les trois luttes auxquelles l'homme est confronté dans son cheminement vers son centre : l'ouïe, la parole et la vue. Avant que « le cœur devienne respirant », il s'agit pour le pratiquant de yoga d'être lucide sur ces trois sens qu'il rencontrera souvent en tant qu'obstacles ; et en cela le raja yoga ou yoga royal ( retrouver sa royauté intérieure perdue dans la chute vers l'incarnation ) l'aura averti par diverses mises en garde et divers conseils, que ce soit Patanjali, la Baghavad Gîtâ ou la Hatha Yoga Pradîpikâ.

 

CETTE FORCE DE VIE est à reconnaître dans notre corps, instrument par lequel peut passer ou non cette force d'aimer. Il est nécessaire de vérifier si le corps physique peut recevoir cette force : le yoga va ainsi préparer et entretenir le terrain, afin que le courant puisse passer et permettre à cette force de s'élever vers le haut.

PREMIER CONTACT : CORPS PHYSIQUE ET RESPIRATION PHYSIQUE

Il s'agira tout d'abord de retrouver notre verticalité , en nous rappelant que nous sommes des êtres sur deux pieds, ce qui nous permettra aussi de grandir. Plus d'un pratiquant yogi régulier vous dira sa surprise de voir le gain de un ou plusieurs centimètres au fil du temps, alors qu'en avançant en âge, c'est une tendance contraire qui se manifeste chez la majorité d'entre nous...
L 'observation du souffle est mise en place presque simultanément, en s'aidant du regard- témoin qui ne juge pas, d'abord sur le tapis de yoga puis en étendant cette acquisition dans tous les actes de la vie quotidienne, ce qui permet de voir ainsi comment l'on fonctionne et l'altération éventuelle qui peut se mettre en place sur le souffle, voire sur la statique. Un exemple en est dans les transports en commun : quelle est la qualité de notre respiration, comment nous nous tenons dans la posture debout ou dans l'assise, quel est le fonctionnement de nos sens et de notre mental,... en n'omettant pas d'observer, et toujours sans jugement, si toutes nos capacités fonctionnelles, mentales et intuitives fonctionnent, sans être trop surpris si ce n'est pas le cas. En résumé, qui sommes-nous, qui suis-je, dans cette condition bien précise du quotidien ? A ce propos, il sera particulièrement intéressant d'observer particulièrement l'expiration, où nous nous dégageons naturellement de ce qui n'est plus bon pour notre corps.
Quelle conscience y-a-t-il dans les actes de ma vie, suis-je d'abord consciente à chaque instant de ces actes ? A l'aide (!!) du yoga, je vais ainsi prendre conscience que je ne suis pas si consciente que ça, pas autant consciente que je le croyais dans mon quotidien : ma première réaction éventuelle sera un rejet, d'où le point d'exclamation deux lignes plus haut me faisant croire que le yoga n'est pas une aide, ou pire dans mon orgueil, que je n'ai pas besoin d'aide et que tout va bien.
Ici, il y aura le pratiquant « accroché » et séduit qui va persévérer et celui qui va s'arrêter au bout de quelques cours ou venir sans régularité, le libre-arbitre appartenant à chacun en fonction de l'état des lieux du moment, et je serais bien la dernière à me permettre de porter un jugement sur telle ou telle réaction !
AINSI la première approche concerne soi-même, commencer par l'amour de soi, avec le contact ou la reprise de contact du corps dans la voie du yoga.
DÉJÀ un début de réponse qui s'amorce par rapport au titre de cet article : aimer son corps, c'est l'habiter.

CONSCIENCE ET ÉNERGIE : SUITE DE L'AVENTURE

Habiter son corps sous-entend implicitement qu'il est peut-être très peu habité, voire pas habité du tout. Il y aura un choc éventuel de la prise de conscience que nous nous connaissons si mal... d'où la nécessité de commencer par le commencement afin de rendre le corps puissant pour accueillir la puissance de l'énergie.
La posture sera créée avec conscience et vécue comme telle dans sa progression, sans confondre asana et but à atteindre. Comme l'a dit Roger Clerc, « on ne fait pas de la méditation, elle vous tombe dessus ! ».
Ce sera une histoire d'amour (ou non...) entre la posture et nous, comparable à l'histoire d'amour dans le couple Shiva/Shakti, entité inséparable depuis la manifestation, malgré les apparences. Mais comme nous le dit Patanjali, la conscience est noyée dans le quotidien, il nous faudra apprendre que notre corps nous donne la possibilité d'explorer.
Notre corps est l'instrument d'exploration, il va nous permettre cette aventure de la conscience, il devient ainsi évident qu'il faut passer sur le tapis de yoga régulièrement. Nous pourrons une fois de plus recevoir le choc de notre ignorance : ici, ce sera le manque d'amour de nous-mêmes par la violence que nous pouvons imposer à notre corps, en totalité ou fragmentairement.

ET LE CŒUR DANS CETTE HISTOIRE ?

Approchons le cœur comme lieu de convergence de toutes les forces en nous, « au cœur » de notre axe de verticalité qu'est la colonne vertébrale, entre le mental et les pieds. Serait-ce le réel centre de gravité ou celui considéré comme juste, indépendamment de toute donnée anatomique ? Sa place située fort à propos en partie centrale de notre programme de stage nous incite également à le croire : le hatha-yoga a toujours considéré le cœur comme origine de la force en nous.
Anâhata est le nom donné au chakra du cœur et est le lieu de force d'amour, manière dont nous accueillons humblement la vie, disponibilité à ce que nous allons vivre. La posture en est un excellent terrain d'apprentissage, avec l'acceptation de nous assumer en faisant fonctionner avec humilité chaque partie de notre corps. Toutes les branches du yoga le disent, que ce soit celui de la dévotion, de la connaissance, de l'action : l'arbre du yoga permet que la notion de cœur se présente d'elle-même à un moment donné, car toute action directe sur lui paraît improbable.
Nous agirons par exemple avec des postures d'extension, des postures d'ouverture de la partie antérieure du corps, en ne perdant jamais de vue que l'ouverture s'organise mentalement. A ce propos, les postures en rapport avec le cœur peuvent se distinguer essentiellement selon le but recherché, en cœur guerrier, cœur amoureux, cœur intuitif, cœur en paix.
En effet, il y a préparation de tout notre être incarné avant que « le son non frappé », traduction d'anâhata, c'est-à-dire la vibration créatrice initiale, puisse être entendu, fond sonore toujours présent en nous, écho du big-bang originel. Le cœur en tant que passeur nous touche par rapport au but que nous recherchons.
Et, comme les philosophies le disent souvent, car c'est un lieu auquel nul d'entre nous ne peut échapper, il vaut mieux s'occuper de lui avant qu'il ne s'occupe de nous.
La foi et la capacité d'empathie liées à ce centre nous amènent tout naturellement vers la confiance, « avec foi ».

LA CONFIANCE...

La foi donne l'espérance en quelque chose ou quelqu'un, et le centre de gravité a besoin de force, de forces, d'où la nécessité d'avoir la partie matière à notre service, avant d'envisager la confiance qui sera ici le lâcher-prise. Ce dernier ne pourra œuvrer qu'avec la participation de la vigilance, de la lucidité et de la rigueur, ce qui nous ramène vers nos pieds, et notamment les postures d'équilibre, exigeant ces caractères ainsi que la répétition.
La double polarité du centre du cœur exige des bases stables pour commencer... et nous débutons par les pieds, un simple travail d'orteils ayant des conséquences sur toute notre statique et notre confiance au monde.
Il s'agit d'être dans l'ici et maintenant, surtout dans cette famille d'asana, car toute notion d'impatience, de dépassement ou d'attachement sera fatale... à notre équilibre !
Nous pourrons ainsi comprendre que nous sommes nous-mêmes l'obstacle, avec notre hâte, notre incapacité d'accepter le principe d'incertitude d'où la question de la confiance, à expérimenter dans le travail à deux, chacun aidant l'autre dans les postures d'équilibre qui s'enchaînent.

... ET PAR CONSÉQUENT LA CONVIVIALITÉ

C'est-à-dire vivre avec, le point de départ étant de vivre avec soi avec amour, et en yoga se sera des mouvements plus approfondis, la maîtrise de la statique, l'harmonie avec le geste, la capacité de se centrer , que nous soyons en étirements, en flexion, en extension ou en équilibre.
Par honnêteté, nous pourrons étendre ensuite, à partir de notre tapis de yoga, cet amour à ceux qui nous entourent et ainsi de suite...
Le commencement aura été de prendre soin de l'être humain, le yoga est à ce titre maternant et permettra de rouvrir les portes après s'être refait une santé.
La convivialité va de pair avec l'enthousiasme, c'est-à-dire porter le divin en soi, étymologiquement. Le yoga de l'action est essentiel car c'est dans le mouvement que nous pourrons tout faire pour être heureux, donc dans cette vie, en ne perdant jamais de vue que nous laissons des traces.
Il s'agit de se dire « je m'y mets, je m'y remets », plutôt que « si j'avais fait autrement, je ferai demain ».

PEUT-ON CONCLURE AMOUR=CONSCIENCE=PRÉSENCE ?

Au fur et à mesure que nous nous (re)trouvons, selon l'éducation qui a été la nôtre et les couches mises sur l'être pour lui permettre de grandir, il nous apparaît comme évident que ces couches doivent être enlevées à un moment donné dans toute éducation véritable, mais que pour la plupart d'entre nous, nous les gardons jusqu'au bout.
Je reprendrai en partie les termes de notre conférencier en ce sens : le ou les échafaudages, nécessaires à la construction de la demeure, empêchent ensuite de voir la beauté du bâtiment.
Les échafaudages doivent être enlevés afin que cette demeure puisse manifester et laisser émaner cette beauté autour d'elle, sinon, à quoi bon ? A QUOI BON ?
Et ne jamais perdre de vue, comme le rappelle notamment la Baghavad Gîta, que l'action est désintéressée, les fruits ne nous appartenant pas (chant III notamment). Nous pouvons rapprocher de cette option les deux sutras suivants de Patanjali :


« quand on est établi dans un état de vérité, l'action porte des fruits appropriés » (II 36),
«  quand le désir de prendre disparaît, les joyaux apparaissent » (II37)

(Traduction de Françoise Mazet)


Ce chapitre II s'intitule d'ailleurs « sâdhana pâda », moyen ou stratégie mis en œuvre.
Notre réponse affirmative à la question est peut-être ici, situant l'action comme lien, le yoga de l'action ou karma-yoga étant typique de l'être humain occidental. En effet, par l'action tout simplement quotidienne, il est possible pour chacun d'entre nous de toucher cet état d'unité, que le passage régulier sur le tapis de yoga aura néanmoins permis de préparer.
La présence à la plus petite action, être conscient de ce qui est mis en acte: voilà ainsi la porte d'entrée accessible à la caverne du coeur, car il nous aura été permis de montrer auparavant notre force dans le quotidien. Ce sera un dialogue permanent qui pourra s'instaurer avec la force puisée dans notre coeur en retour, et transmise à chaque instant de notre vie. La clé pour 1'ouverture du passage aura été le corps, et le pratiquant sera passé de la notion de corps eu à celle de corps vécu, comme l'exprimait K. G. Von Dürckheim, dans « le hara » : les uns « ont un corps », les autres « sont leur corps ».

Monique ZRIEM-MASSA

BIBLIOGRAPHIE

  • Les Yoga Sutras de Patanjali
  • Hatha-Yoga Pradîpikâ
  • La Baghavad Gîta
  • Les Upanishads
  • Les Upanishads du Yoga